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L'espace
d'un printemps dans la ville assiégée, je devenais
témoin de la survie des otages d'un conflit moyenâgeux.
Certains ont survécu, d'autres pas.
Moi
je suis rentré à Paris.
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Cimetière
musulman du quartier de Mihrivode, 1993 |
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Là, en dépit de la diffusion de mes photos dans la
presse, je n'ai pas échappé à une remise en
cause de mon travail : au regard des souffrances que j'avais côtoyé,
ma présence à Sarajevo n'avait-elle pas été
indécente ? N'avais-je pas été, comme tous
les journalistes présents, l'instrument involontaire et manipulé
d'une surenchère de l'horreur, d'un chantage qui me dépassait
?
Le
matin je pensais retourner en Bosnie, témoigner cette fois
avec plus d'acuité.
L'après-midi,
l'inutilité d'un tel retour m'éclatait au visage.
Les mois passaient et je restais impuissant, incapable d'assumer
les contradictions de mes engagements... Jusqu'à ce qu'un
ami m'invite à livrer mes impressions par écrit dans
l'intention de publier mon travail. Avec son soutien et sur la base
de mes notes et des souvenirs de conversations, je rédigeais
une série de textes, courts et anecdotiques, qui me permettaient
d'exprimer ce que taisaient les photographies : mes doutes, mon
impuissance, ma colère.
Depuis,
les incertitudes subsistent,
une
guerre en a chassé une autre et le livre n'a finalement jamais
été publié.
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Zlata
et son copain |
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quartier
de Drvenija |
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quartier
de Drvenija |
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une
école dans un bunker |
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Zlata
est face à moi. Je la regarde dans mon viseur. Elle
a treize ans, peut-être quatorze, et le charme de
l'adolescence. Le garçon se tient à côté
d'elle, tout près. Ils sont amoureux. Je sais que
la présence de l'objectif les gène mais j'attends
encore quelques secondes, silencieux, et j'observe les mouvements
de leurs mains qui se frôlent, hésitantes,
émouvantes. Je déclenche. Zlata s'approche
de moi avec un demi sourire et me demande de ne rien dire
à ses parents, au sujet du garçon. Je promets.
Dans
mon dos, de l'autre côté de la rue, j'entends
les murmures de leurs copains, moitié rigolards moitié
jaloux. Je croise souvent la petite bande dans mon quartier,
ils tapent dans un ballon ou se partagent les restes d'un
mégot. Ils ont les mêmes jeans larges et déchirés,
la même nonchalance que les élèves de
n'importe quel collège de France. Peut-être
sont-ils un peu plus pâles. Apparemment désinvoltes,
ils jouent aux soldats, collectionnent les munitions usagées,
les éclats d'obus. Tous ont perdu un grand frère,
un cousin, ou leur maison. Tous ont vu partir sans bien
comprendre, quelques semaines avant le début de la
tragédie, leurs copains de classe, leurs voisins
serbes dont les parents préféraient silencieusement
le rôle de l'assaillant à celui de l'assiégé.
(...)
Je
suis dans la chambre de Zlata. Par terre, un jeu de monopoly
s'étale avec ses faux dinars yougoslaves, ses hôtels
et les rues de Belgrade. Allongées sur le lit bateau,
trois adolescentes me parlent de musique, de ciné,
de fringues. L'une d'elles passe la main dans ses cheveux
blonds, me fixe, et me demande si je peux imaginer sa douleur,
la détresse de sa petite soeur, la peur qu'éprouve
son frère tout juste sorti de l'enfance, enrôlé
le lendemain de ses 17 ans pour le front. Qu'est-ce que je
peux répondre ?
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