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Et puis une année, Andrée ne m'a pas reconnu. Elle
a perdu la tête m'a-t-on expliqué. Elle ne souriait
plus, elles ne racontait plus d'histoires, elle errait et ramassait
des cailloux qu'elle glissait dans la poche de son tablier. J'avais
quatorze ans. Un après-midi alors qu'elle passait près
de moi, l'air absent, j'ai saisi l'appareil photo tout neuf que
mes parents m'avaient offert, je me suis approché et, tout
en lui parlant, je l'ai photographiée. Je ne soupçonnais
pas encore la valeur que cette première image - la seule
que je possède d'Andrée - prendrait plus tard pour
moi. Elle a tourné le regard, un instant son visage s'est
illuminé.
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Figée
noir sur blanc dans un temps suspendu, c'est bien Andrée
que je retrouve aujourd'hui. Non pas la petite vieille qui s'éteignait
lentement, claquemurée dans un monde incompréhensible
mais l'autre, celle de mon enfance. Je la regarde et je sens son
odeur rance, mélange de terre et de lait de vache, je prends
sa main calleuse dans la mienne, j'embrasse la peau sèche
et fripée de son visage. " Pêêêti,
péti, péti, péti... " : je l'entends qui
appelle les poules tout en jetant par poignées les grains
de maïs sur le sol !
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