©[sté
phane
ragot]

une première
image

 
 

 

Une main derrière le dos, le regard vif, son éternel sourire accroché aux coins des lèvres, Andrée avance, voûtée, sur le chemin du poulailler. Je la suis en trottinant, tout près. Pas question de m'écarter, de perdre de vue sa silhouette rassurante : des loups rôdent à la tombée du jour dans le petit bois qui longe la route et attendent de croquer les enfants imprudents. Heureusement moi, je suis prévenu et je fais attention. C'est Andrée qui m'a mis en garde. Andrée Guichement est née en 1906 et n'a jamais quitté Arboucave, son village des Landes. Sa maison fait face à celle de mon grand-père et chaque été, pendant les longs mois de vacances, je la retrouve avec bonheur...

 

Andrée Guichement, Arboucave 1983
 

 

 

... Et puis une année, Andrée ne m'a pas reconnu. Elle a perdu la tête m'a-t-on expliqué. Elle ne souriait plus, elles ne racontait plus d'histoires, elle errait et ramassait des cailloux qu'elle glissait dans la poche de son tablier. J'avais quatorze ans. Un après-midi alors qu'elle passait près de moi, l'air absent, j'ai saisi l'appareil photo tout neuf que mes parents m'avaient offert, je me suis approché et, tout en lui parlant, je l'ai photographiée. Je ne soupçonnais pas encore la valeur que cette première image - la seule que je possède d'Andrée - prendrait plus tard pour moi. Elle a tourné le regard, un instant son visage s'est illuminé.

Figée noir sur blanc dans un temps suspendu, c'est bien Andrée que je retrouve aujourd'hui. Non pas la petite vieille qui s'éteignait lentement, claquemurée dans un monde incompréhensible mais l'autre, celle de mon enfance. Je la regarde et je sens son odeur rance, mélange de terre et de lait de vache, je prends sa main calleuse dans la mienne, j'embrasse la peau sèche et fripée de son visage. " Pêêêti, péti, péti, péti... " : je l'entends qui appelle les poules tout en jetant par poignées les grains de maïs sur le sol !

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